Récit du 13 juin 2004, Aigneville


Un vol fabuleux, et beaucoup de générosité en prime


Dimanche 13 juin 2004, jour des élections européennes boudées par une majorité de français.

Beau temps, cumulus prometteurs, vent NNE faible à modéré annoncé dans l’Eure et Loir. Après le passage aux urnes, nous rejoignons en début d’après-midi Michel Moussier et Jacques Hersant à Aigneville. Sur le toit de la titine, mon nouveau jouet, un grand, un pas trop cher, un investissement pour le long terme, le coup de cœur : un splendide Exxtacy 160 jaune et blanc, flambant presque neuf. Michel teste les turbulences de l’atmosphère au cours d’un premier vol en ULM, et revient circonspect. L’air est agité, c’est bon signe, mais en tant que pilote remorqueur débutant, il hésite à remorquer Jacques, qui n’a pas une grande expérience du remorqué, et moi-même, qui teste une nouvelle aile. Finalement, Maître Hervé vient à la rescousse et nous envoie tous en l’air. Je décolle en premier, et à cause d’une position basse avec le câble en forme d’arc de cercle, je largue et j’arrive même à me reposer avant l’ULM ! Bon, Jacques décolle, accroche, et disparaît entre les nuages (il parcourra 32 km). Michel lui emboîte le pas, et disparaît lui aussi en se laissant dériver (il se posera à Cour-Cheverny en effectuant son record de distance avec 79 km, bravo Michel !).

15H45, seconde tentative pour Fredo qui n’a pas l’intention d’en rester là. Après un remorqué plus attentif, la pompe est enroulée jusqu’au plafond (1600m), et je décide aussi de me laisser dériver. Avec des conditions fumantes telles que celles qui régnaient, j’ai naturellement tendance à ne plus penser à ce qui se passe sur terre, pour me consacrer entièrement à voler de nuage en nuage et à admirer le paysage. La stratégie de vol était des plus basiques : bon, ça tient, je suis à la base des nuages, le cumulus suivant est bien joufflu ou en passe de le devenir, je continue ! N’ayant absolument rien prévu, j’avais de surcroît omis d’emporter un minimum d’argent ou une carte bleue, tout était resté dans le sac de Clotilde. Ni la moindre paire de gants d’ailleurs, qui m’a cruellement fait défaut quand mes mains étaient gelées dans les barbules. Qu’à cela ne tienne ! Ce n’est pas important, un petit coup de volets au neutre pour sortir rapidement des "dégueulantes", l’aile se transforme en un véritable bolide, et me voilà euphorique au milieu du ciel bleu entrain de voir la Terre défiler sous mes yeux. Je laisse progressivement Châteaudun à l’ouest, pour atteindre le village de Mer, entre Beaugency et Blois. Souvenir d’une vache idiote en planeur à cet endroit en 1988, aujourd’hui est une revanche ! Le plafond a monté, je navigue entre 900 et 1700 m. Aucune trace visuelle de mes deux confrères. Je n’avais pas de radio, le silence de l’air, c’est tellement mieux. L’idée d’atterrir avait commencé à m’effleurer l’esprit, mais cela tenait toujours. Alors allons-y gaiement d’ascendance en ascendance, et pourquoi pas le plus loin possible ! Hésitant à m’engager au-dessus de la grande forêt de Chambord, je bifurque un peu plus vers le sud. Poussé par le vent, je survole tranquillement ou aperçois les châteaux de Chambord, Blois, Cheverny… Et puis le Cher se dessine déjà, je survole haut dans le ciel le terrain privé de Montrichard au bord du fleuve, lieu d’un autre souvenir vélivole épique en 1988, les châteaux de Biard?la?Chapelle, Loches… En fin d’après-midi, la restitution est à l’œuvre, et je navigue maintenant de forêt en forêt. Altitude maximale vers 18H50 au-dessus de la forêt de Loches à 1811 m dans les barbules (1934 m donné par l’enregistrement QNH du vario). Encore un souvenir d’une vache en planeur à Nouans?les-Fontaines en 1984, à 110 bornes du terrain. Je poursuis vers le sud sur un fond de soleil couchant, tout en repérant les champs exempts de cultures pour un atterrissage éventuel. Je me laisse porter, tantôt en spirale avec le meilleur réglage des volets, tantôt en ligne droite. Etant accroché trop bas, je pouvais me détendre en posant le front sur la barre de contrôle, et les crampes des triceps au niveau des coudes n’ont pas manqué de se faire sentir tout au long du vol. L’atmosphère se calme. Le spectacle est magnifique, les méandres de l’Indre au sud-est de Loches sont très beaux, et puis plus loin la confluence en forme de bougeoir de la Creuse avec un affluent… c’est chouette de pouvoir contempler tout ça ! Peu avant 20H30, toujours à 1000 m, j’aperçois au sud une centrale nucléaire dont j’ignorais la présence, je ne connais plus vraiment ma position depuis Loches. Les champs entre les bouts de forêts me paraissent bien cultivés vers cette centrale, aussi je décide d’atterrir maintenant. Je me pose comme une fleur à 20H37 dans un grand champ dégagé, près d’une ferme et non loin d’une nationale, au bout de 4H50 de vol. Heureux.

La récupe…
La ferme est abandonnée. Impossible de téléphoner rapidement à Clotilde, qui a passé l’après-midi à lire au soleil, papoter avec d’autres pilotes ULM, chercher Jacques au sud de Châteaudun, et cueillir des cerises dans le jardin d’Hervé (merci Hervé !). Je décide de profiter de la lumière du jour déclinant pour replier mon aile, avant de me mettre en route à la recherche d’une cabine. Au bout d’un certain temps de marche et de stop infructueux, cherchant désespérément un téléphone, je finis par frapper à la porte d’une maison éclairée dans un hameau proche de la nationale, et je tombe sur une dame étonnante de 80 ans, charmante, ô combien accueillante, tonique, et bavarde de surcroît. La rencontre providentielle. Question subsidiaire : où suis-je ?! A Siouvre, près de Saint Savin, entre Le Blanc et Poitiers…Il est autour de 23H quand je peux enfin téléphoner à Clo, en me demandant quelle serait son humeur ! Détendue, bien qu’un peu inquiète, elle finissait tranquillement son dîner dans un resto avec Michel, qui s’était porté volontaire pour l’accompagner dans ce moment d’incertitude (merci Michel !). Clotilde très dévouée accepte de venir me chercher, je lui en suis très reconnaissant, ouf ! La suite chez la dame, Gisèle de son prénom, a été royale : j’ai été reçu, nourri, hébergé, instruit au cours d’une conversation sans fin, encouragée naturellement par quelques questions. Clo est arrivée à 2H40 du matin. On récupère l’aile, nouvelles causeries. Comme nous étions un tantinet fatigués, Gisèle nous a offert une grande chambre pour finir la nuit. Nous sommes restés confondus devant tant de gentillesse.

Epilogue.
Dans la journée du lundi, au lieu de se balader tranquillement vers le nord et de visiter les châteaux par la voie terrestre, nous sommes rentrés à fond les manettes, après quelques heures de sommeil trop courtes, car Clotilde devait passer un entretien téléphonique à 12H précises. Je lui devais bien ça, et le glorieux carrosse s’est arrêté aux portes du logis à 11H57… c’était gagné ! Après quelques mesures précises, la longueur du trajet Aigneville – Mer – Loches – Saint Savin a été évaluée à 195 km !!! J’ai pulvérisé mon record de distance. Je vais bientôt être papa, alors cela m’a mis un peu de plomb dans la tête, et cela me fait aussi pousser des ailes ! Cependant, passer la barre des 5 heures et des 200 km aurait déplacé la tarification à un niveau beaucoup trop élevé, alors je me suis arrêté juste avant ! L’Exxtacy est une aile formidable, saine, performante, et je ne peux qu’encourager les pilotes de delta souple à l’essayer ! Je pense qu’un pilote plus expérimenté en matière de cheminement, et qui décolle tôt, aurait pu porter cette distance à 300 ou 400 km, ou aurait tout simplement pu revenir au terrain ! Bravo aussi à Frédéric Fosse et à Hubert Marie qui, partis d’Aron en Mayenne, ont parcouru ce même jour 225 km avant d’être arrêtés par l’océan atlantique…Et bravo enfin à notre secrétaire assoiffé, qui a battu son record de course à pied en courant le Marathon en 3H23, et n’a plus envie que d’une chose, faire péter les bouchons pour célébrer tout ça !

 

Frédéric Lévy