Récit du 2 octobre 2004, Clécy


Entre Clécy et Lisieux… avec l’aide de la pluie


Samedi 2 octobre, vent secteur sud ouest modéré prévu dans le Calvados, avec des nuages convectifs parfois pluvieux, et une couverture nuageuse en haute altitude qui laisse peu de place aux éclaircies. N’ayant pas pu me rendre disponible pour profiter des trop belles journées en septembre, et ayant de surcroît un grand besoin de changer d’air cette semaine là, je me suis dit qu’un peu de vol de pente au-dessus de la colline peu fréquentée pourrait être fort sympathique et salutaire pour ventiler les neurones.

C’est parti pour une nouvelle virée à Clécy. Sur place, Marc Jeanne et Daniel Leymarie avec leur rigide. Les Piafs ont aussi envoyé une délégation, en la personne de Super-Alain, accompagné de son fidèle camarade Jean-Hugues. Quelques autres libéristes locaux étaient présents aussi, mais ils ont juste respiré l’air frais et apporté une assistance le cas échéant. Trois rigides et un souple sont dépliés. Le vent est turbulent, on mesure des rafales à 40 km/h, c’est fort. Marc tente de décoller, mais il doit renoncer. Et puis une accalmie se présente. Je saute dans mon harnais, et me fais aider pour amener l’aile prête à décoller (sans oublier de m’accrocher). Encore des rafales, ça secoue bien. Quelques secondes de répit, et hop, en l’air, comme happé par le vent ! Il est 15H44. Tout en me laissant déporter, je parviens à réaliser un gain de 560 m, sans pouvoir atteindre le plafond. Après chaque tentative, retour à toute allure vers la colline pour reprendre du gaz en sécurité. Marc décolle un quart d’heure plus tard, les deux autres deltas resteront en arrière sur l’aire de dépliage. Voler dans des conditions agitées qui requiert toute l’attention du pilote est un bon exutoire au demeurant. Cela fait bien une heure que nous nous faisons brasser quand nous apercevons un rideau de pluie qui avance vers la colline du déco. Marc descend se poser tandis que les autres pilotes replient manifestement leur matériel. Pour moi, le rideau n’est pas très foncé, donc la pluie ne devrait pas être si violente que cela. Je décide de rester en l’air le plus longtemps possible, quitte à aller me poser loin derrière si la météo se gâte vraiment. Car devant ce rideau de pluie, il y a sûrement des bonnes pompes, notamment au niveau du venturi que constitue la colline. Bingo, du 3 à 4 m/s me hausse à la base des nuages, à 1150 m QNH. Aucun cumulus au nord est, seuls les nuages en haute altitude couvrent le ciel. Je décide de rester « abrité » sous mon nuage, qui ne se prive pas de m’envoyer quelques gouttes au passage, et d’avancer tranquillement avec lui, puisque le vent nous pousse gentiment. Le vol change alors de phase : le brassage continu initial cède la place à un vol à basse vitesse, genre 25-30 km/h, donc très souvent aux grands angles, histoire de conserver un tant soit peu le vario positif. Plafond maximum à 1234 m QNH. Mes mains commencent à geler, alors je fais des exercices réguliers pour les dégourdir. Au niveau de la route entre Caen et Falaise, le nuage semble s’étaler, les ascendances s’amenuisent, tandis que les éclaircies reviennent. Je quitte ma bulle de coton pour aller plus loin vers le nord est, car justement, il y a un beau nuage au-dessus d’une agglomération avec une grande gare de triage. Les ascendances sont faibles, je réussis malgré tout à m’élever de 240 m. Des crampes se font sentir dans les bras, à force de voler en poussant sur la barre de contrôle. Poursuite du vol vers l’est sous ce qui pourrait ressembler à une rue de nuages, vers une colline boisée et ensoleillée dont la face ouest pourrait déclencher une petite pompe. Ouf, c’est bon, je l’ai trouvée, et parviens à me maintenir. Les champs de courses pullulent dans le coin. Les bocages verdoyants vus d’en haut sont magnifiques, illuminés par le soleil décroissant qui fait son apparition entre les nuages. Et puis j’aperçois au fond à l’est, un édifice qui pourrait bien être la basilique de Lisieux. Mais oui, c’est cela. Vertical au-dessus de la ville à 18H10, à 500 m environ, toujours dans du zéro, tantôt positif, tantôt négatif. C’est chouette, je n’avais jamais pensé que je me retrouverais un jour à contempler ce lieu depuis le ciel… Bon, ça tient toujours, allez, je continue doucement vers l’est, en ligne droite, au nord de la nationale. Les meilleurs choses aussi ayant toujours une fin, je dois quand même songer à atterrir.

Ceci fut réalisé à 18H35, dans un champ de terre immense, juste à côté d’une grande ferme qui séduit le regard par sa richesse : deux grands vergers bordés à l’extérieur par des peupliers, et séparés par une allée qui mène à une superbe maison ancienne à colombages (j’apprendrai qu’elle date du 13e siècle). Au fond, des granges et des hangars de travail parachèvent la propriété. Personne en vue. Le panneau du village indique que je me trouve à Saint Aubin de Scellon, où les touristes peuvent d’ailleurs visiter le musée du landau. Bien que le sujet m’intéresse, ne serait-ce que par curiosité, la visite ludique fut néanmoins reportée à une date ultérieure, car je devais replier l’aile avant la tombée de la nuit et trouver le propriétaire. Celui-ci apparaît derrière les phares d’un gros tracteur, tel un guerrier mythique chevauchant le dragon. Accueil très sympathique, il me propose de boire l’apéro. Sans problème ! Le personnage est original : un grand gaillard qui se prénomme Jacques, 61 ans, d’origine belge, célibataire depuis sa naissance, bon vivant, bosseur infatigable et sans relâche dans tous les domaines liés à son exploitation. La nouvelle du décès d’un collègue l’arrête dans son élan, et partager quelques verres avec ce visiteur du soir qui débarque avec son étrange matériel lui change les idées. Je téléphone ensuite à un bon copain vélivole, qui habite à 15 km au sud ouest de Caen, pour lui demander de venir me chercher, s’il est disponible, s’il est d’accord, si tout va bien quoi... Ok, il vient me chercher, super ! La causerie chaleureuse reprend son cours. Jacques me confie que si j’étais arabe, il m’aurait laissé dehors ! Bon, il faut de tout pour faire un monde. Allez, Jacques sort une bouteille de sa production personnelle de cidre. Le breuvage est vraiment succulent, félicitations ! Le dîner bat maintenant son plein lorsque le père Joël (René pour les intimes) arrive de Caen et se prête volontiers à la dégustation collective, enrichie d’une visite guidée entre les cheminées et les poutres du bâtiment ancien. Il faut bientôt lever le camp, car Joël est parti en laissant sa petite famille manger la raclette en suisse. Le festin est remis en place vers minuit, les retrouvailles sont joyeuses, et les libations d’accompagnement, notamment le calva sur la fin, nous amènent à passer une nuit rythmée tout simplement de fous rires.

Le comité d’accueil. En retournant vers le logis, nous avions choisi de laisser mon véhicule au décollage de St Omer, il ne risquait pas grand chose, pour ne le récupérer que le lendemain matin. Arrivés sur place le dimanche à la mi-journée, nous avons retrouvé nos amis deltistes de la veille, à ceci près qu’ils faisaient une drôle de tête en me voyant. Constatant l’absence du pilote auprès de son véhicule le lendemain du vol, et sans nouvelles de sa part, l’instructeur du club de parapente de Clécy avait alerté la gendarmerie, et les recherches étaient sur le point de commencer… Ouh là ! Bon, nous avons reconnu avoir effectivement commis une erreur en choisissant de récupérer mon véhicule le dimanche sans prévenir personne. Joël et moi-même n'avons absolument pas pensé qu'il aurait été utile de le faire, et de surcroît je n'avais noté aucun numéro des gens sur place avant de décoller. Je me suis excusé mille fois auprès d'eux, y compris auprès des gendarmes qui se sont déplacés... tout en pensant que si accident il y avait eu, la Normandie n’est pas un pays suffisamment désert pour personne ne s’en aperçoive, et que les secours locaux auraient vite établi la liaison entre les papiers du blessé et le véhicule encore en stationnement. La frontière entre la liberté individuelle et la sécurité des personnes est parfois difficile à cerner. Les gendarmes ont suggéré de diffuser au plus grand nombre l’information suivante : si l'atterro s'est bien passé, si on ne récupère le véhicule que le lendemain (ou après...), et si on n'a aucun numéro avec soi, alors on peut toujours appeler le 17 afin de signaler à la gendarmerie locale que tout va bien, et de rassurer les gens inquiets. De retour chez Joël, l’aventure s’est terminée autour d’un bon repas. En tant que vélivole méticuleux, il a été impatient de connaître la distance parcourue : entre le décollage de Clécy et Saint Aubin de Scellon, via Mézidon Canon (la gare de triage) et Lisieux, nous avons mesuré 76 km. Un grand merci à lui et à Elisabeth pour la récupe et leur accueil. Merci aussi à Jacques, qui voulait encore m’offrir une bière de son cru quand je suis venu récupérer mon aile. La vie est belle, quand elle est vécue pleinement et de bon cœur par le côté qui nous inspire et qui nous enthousiasme.

Frédéric Lévy