Récit du 15 juillet 2005, Aigneville


Le lendemain d’une belle journée


La belle journée, au sens du vol libre, c’était le 14 juillet 2005. Naturellement, il y en a eu d’autres avant, dont quelques-unes seulement ont pu être saisies au vol, et il y en aura d’autres après, dont, j’espère, nous profiterons le plus possible. Mais dans mes souvenirs, cette journée reste l’exemple type d’une journée où je me suis bien fait berner par mon jugement sur la météo. Dès le matin dans notre nouvel espace de vie à Brétigny, il faisait beau et chaud et sans un poil de vent. Cela confirmait les prévisions de la veille sur Internet. Je me suis dit qu’on allait encore avoir droit à une canicule bien plantureuse, et j’ai balayé toute opportunité de voler en m’orientant vers le plan B de la journée. Ma surprise fut à la hauteur de la taille des cumulus, qui sont apparus dans le courant de l’après-midi, bien joufflus et bien perchés au-dessus de nos têtes. Le vénérable Michel M., lui qui a eu le nez fin (au sens figuré), avait bien tenté de rameuter les troupes vers Aigneville, mais en vain, et il s’est hélas retrouvé tout seul à se faire chahuter en ULM au-dessus de la campagne. Personnellement, je me suis consolé en allant voler le soir en ULM à Pont sur Yonne, où les vélivoles m’apprennent que l’un d’entre eux a tourné un circuit de 480 km… Le lendemain de cette journée fumante, vendredi 15 juillet, l’anticyclone se maintient au-dessus du pays avec un vent annoncé du nord ouest. L’atmosphère devrait être plus sèche et la convection moins bouillonnante que la veille. Mais je n’ai pas l’intention de me faire avoir une seconde fois, et me dis que cela vaudrait quand même le coup d’aller jouer avec les thermiques.

Compte tenu de l’orientation du vent et de mon heure de préparation tardive, je ne peux décoller que dans la région autour de Paris, et c’est avec beaucoup de chance que je parviens vers midi et demi à joindre Michel M. qui, dans un acte de dévouement pour le vol libre dont je lui suis fort reconnaissant, accepte de retourner à Aigneville pour me remorquer, tout en prévoyant d’être de retour vers 18h pour chercher sa femme à la gare ! Un grand merci à toi Michel ! Sur place, le vent est finalement orienté à l’ouest sud ouest bien soutenu, et après une petite séance d’échauffement sous le cagnard à remonter la piste avec l’aile sur le chariot, je décolle enfin vers 15h30. La première pompe me propulse à 1700 m tandis que Michel réussit à atterrir secoué comme un fétu de paille et en évitant le chariot resté sur la piste. Eole me dérive gentiment vers le sud francilien au nord est, mais il a aussi la mauvaise idée de couvrir la région avec des bancs d’altocumulus qui me talonnent et qui n’en finissent pas de masquer l’ensoleillement au sol. C’est bon pour les gens d’en bas, mais en l’air, cela ne va plus du tout ! Point bas à 500 m au nord est de Voves. Je retrouve enfin une ascendance au-dessus d’une zone champêtre chauffée à nouveau à travers une trouée nuageuse, et cela monte d’autant mieux que le contraste thermique est plus important. Je quitte la pompe à 1900 m sous les bancs d’altocumulus qui ont eu la gentillesse de se dissiper un peu, tout en poursuivant ma route vers Angerville dans le lit du vent. A l’est de la N20, c’est la découverte d’une région magnifique sillonnée par les vallées de la Juine, de l’Eclimont, et de l’Essonne. Je survole Méréville, Abbéville la Rivière, et la meilleure pompe de la journée, à nouveau sous les altocumulus, m’élève à 2095 m au-dessus de Milly la Forêt… Le paysage est splendide. La forêt de Fontainebleau est immense, et la ville au milieu semble bien confinée. Au sud, quelques planeurs de Buno Bonneveaux tentent de gagner de l’altitude, je les salue en passant. Souvenir de réglementation aérienne, il est interdit de pénétrer dans l’espace aérien au nord de Fontainebleau, surtout à mon altitude, car les avions déboulent pour atterrir à Orly. Donc je poursuis ma route en m’engageant vers le sud de la forêt, en survolant notamment le massif des Trois Pignons. Il me vient l’idée saugrenue d’aller atterrir à Pont sur Yonne, en pensant avec amusement que je pourrais peut-être faire un tour sur l’ULM de Dominique P. après mon vol, si j’y arrive ! En attendant, mon altitude commence à fondre comme du beurre, le banc d’altocumulus dominant s’étant à nouveau densifié, élargissant la zone d’ombre au sol. Je me dirige alors vers la partie la plus étroite et encore ensoleillée de la forêt, au nord de Nemours, en longeant la lisière. Là bas, les champs de blé moissonnés sont entourés par la forêt, et si un thermique doit naître pour me réexpédier en l’air, il partira sûrement de cet endroit. J’enroule l’ascendance attendue à environ 700 m du sol, ouf. Malheureusement, elle ne me remonte pas bien haut. En plus, la belle carrière plantée un peu plus loin au milieu de la forêt et qui se trouve juste sur ma route est dans l’ombre. Alors je continue à zoner au dessus de la forêt, vers le secteur de Moret sur Loing, en profitant un peu de ce qui s’apparente à de la restitution, tout en me laissant dériver vers Montereau. En bas vers le sud, c’est la fête aérienne sur l’aérodrome de Moret Episy, lieu de quelques souvenirs vélivoles il y a 22 ans, mais je n’ai pas l’intention de m’y poser. Encore plus loin vers le sud, j’aperçois au-dessus de la campagne un planeur étincelant au soleil qui serre diablement sa spirale et qui semble grimper à toute vitesse, ouah, mais je suis trop loin pour le rejoindre. La fin du vol semble proche, car bien que je me trouve maintenant au-dessus des collines ensoleillées qui bordent l’Yonne, je ne parviens pas à enrouler les petites ascendances éparses et fugitives. Pendant ce temps, un planeur remonte tranquillement au vent vers sa base. J’atterris vers 18h20 dans un grand champ qui se trouve à la limite des départements de la Seine et Marne et de l’Yonne. C’était quand même beau, tout ce silence et tous ces paysages vus d’en haut. Je reste un peu sur ma faim.

Le château de la Brosse Montceaux est situé juste à côté, c’est parfait pour reprendre contact avec la civilisation après le repliage de mon aile sous la chaleur. Propriété du Marquis de Paris au 18e siècle, il appartient aujourd’hui à la SNCF qui propose des séjours de détente, et je peux aisément téléphoner à Madame qui veille sur fiston, me rafraîchir, me nettoyer, et même me restaurer gracieusement avant de repartir sur les routes en stop pour récupérer mon véhicule. A l’obélisque de Fontainebleau, je décide de couper directement par la campagne pour retourner à Aigneville, encore inconscient de la distance qu’il me reste à parcourir. Pas de difficulté jusqu’à Angerville, où la nuit s’est déjà installée. La route à suivre au-delà m’apparaît tellement peu fréquentée et hospitalière que je décide de frapper au portail de la première maison encore éclairée pour demander gentiment un lift, quitte à payer le trajet. Une aubaine. Après négociation, un jeune homme, maçon à la mairie de Paris, finit par sortir un véhicule pour m’emmener jusqu’à Voves sous le regard attentif de son petit frère. Il refuse de m’emmener plus loin malgré ma proposition de doubler la mise, car il est trop fatigué. Dans le village complètement éteint, il faut remonter jusqu’aux deniers personnels du chef de gare encore éveillé pour trouver la monnaie. Et puis après, au-delà de minuit, me faisant proprement jeter des quelques maisons éclairées, je ne dois compter que sur mes gambettes pour atteindre mon objectif. Au demeurant, marcher la nuit, c’est superbe. On entend le silence, parfois quelques bruits d’animaux, on peut respirer les senteurs champêtres, on peut observer la lune rousse qui se couche bientôt, et on ne voit passer ni le temps ni la distance. A ceci près que celle-ci s’élève à 15 km, selon le compteur de mon auto, et que c’est parti pour durer trois heures. En chemin, je n’ai pas rencontré de jeunes presque délinquants avec une voiture à réparer. En revanche, j’ai la chance de croiser des jeunes en deux roues qui s’arrêtent spontanément pour m’avancer sur la moitié du chemin. C’est ainsi que je me retrouve les cheveux dans le vent en pratiquant le scooter sur les routes de la Beauce sous les étoiles. Cool. Je suis rendu à mon véhicule peu avant 2h du matin. Moyennant une pause sommeil bien méritée en chemin et un plein de ma bouteille d’eau chez un boulanger qui commence sa journée (on ne trouve pas d’eau la nuit dans les villages, c’est désespérant, sauf dans les cimetières, m’a-t-on dit ultérieurement), je récupère mon matériel aux aurores, commence la réparation d’un ennui mécanique survenu au démontage du trapèze et qui immobilisera l’aile pendant huit jours, et je suis de retour au logis vers 7h30 avec les pains au chocolat ! La distance Aigneville – Milly la Forêt – La Brosse Montceaux s’élève à 121 km. Cette journée fut aussi une belle journée pour aller voler sans moteur, et les beaux souvenirs se bousculent à nouveaux dans ma tête. Comme disait le père François, je reviendrai, j’en veux encore !

Frédéric Lévy