Récit du 7 août 2005, Aigneville


Merci Denis !


Ben oui, ça arrive qu’une personne dévouée se porte volontaire pour me motiver, me remorquer, et me récupérer dans la nuit ! Et bien lui en a pris, car mon vol a été à nouveau magnifique, et m’a splendidement libéré des deux semaines passées dans la poussière, les gravas, les pierres et le mortier que j’ai brassés en solitaire à mon nouveau domicile. Certes, depuis mi-juillet, l’envie de voler s’était à nouveau clairement manifestée, attisée par les belles journées, mais je ne suis parvenu qu’à réaliser un plouf lamentable le mardi 2 août à la « côte de deux amants » (vent et thermiques trop faibles), ainsi qu’à rater la trop belle journée du jeudi 4 août : vent annoncé du nord ouest sur la moitié nord de la France, pas de remorqueur, la zone d’Evreux en activité en semaine, et j’ai cru impossible un décollage à Clécy bien que, plus tard dans la journée, j’aie eu l’idée d’appeler les ATIS de Rouen et d’Octeville qui donnaient un vent du 280 ° pour 10 nœuds, donc cela aurait pu être jouable. Pour me consoler de mes désappointements, je ne trouve rien de mieux à faire que d’annuler la sortie du dimanche 7 août à Aigneville avec Romane comme remorqueur, car le ciel me paraissait stagner au grand bleu ensoleillé et sans vent. Quelle erreur ! Mais Zorro Denis entre en scène. « Ça chauffe, me dit-il au téléphone, tu devrais essayer ! » Fraîchement de retour d’une semaine au championnat de France en Auvergne, satisfait de son vol de la veille à Sully, il prend le relais de Romane qui préparait son départ en vacances, et me convainc sans difficulté. Nous quittons tranquillement le local d’Orsay vers midi.

Décollage en chariot vers 15 heures, le vent est faible, plutôt du secteur nord ouest, et les beaux cumulus sont en place dans un ciel limpide. C’est royal. Avec un peu moins d’hésitation le matin, j’aurais pu décoller une heure plus tôt, mais c’est ainsi. Car je ne prévois jamais rien à l’avance, et me dis que réussir à décoller, c’est déjà quelque chose. Largué vers 700 m, j’enroule fermement la première pompe qui me propulse à la base du nuage. Curieusement, le plafond n’est pas très haut, autour de 1400 m, et il ne dépassera pas les 1500 m au cours de l’après-midi. Sans hésiter, je trace vers le sud – sud est pour aller le plus loin possible. Aucune rue de nuages n’est visible, les cumulus semblent dispersés de manière aléatoire. Le mouvement de l’ombre des nuages m’indique simplement une toute petite dérive. Je survole l’aérodrome de Châteaudun, puis me dirige vers la centrale de Beaugency, facilement repérable au loin. Les transitions entre deux ascendances ont la fâcheuse tendance à me faire perdre beaucoup d’altitude à mon goût. Je me récupère souvent entre 800 et 900 m avant de trouver la prochaine pompe. Tentant de gagner un peu plus d’altitude avant de quitter un nuage, je m’aventure un peu à l’intérieur. Brouillard intégral. Par précaution, je décide de sortir au-dessus de 1600 m. Impossible de me repérer, il fallait s’y attendre. La brave cheminée de la centrale réapparaît enfin, mais complètement sur ma gauche… Alors je rectifie le cap, en me disant que j’achèterai une boussole pour le prochain vol. Point bas entre 500 et 600 m le long de la Loire entre Mer et Blois, la pompe a été longue à venir. Je décide de poursuivre ma route à peu près vers le sud, comme l’année dernière au mois de juin lors de mon premier vol long en Exxtacy. J’aperçois à nouveau, rempli d’admiration, les châteaux de Chambord, Blois, Cheverny, et toutes les forêts, les champs, les maisons… et tout ce paysage coiffé d’un beau ciel de cumulus. La Sologne vue d’en haut est vraiment très belle. Souvenir, en reconnaissant au loin la ville de Contres, de l’atterrissage en campagne entre les fraises et les concombres d’un bon copain vélivole qui avait eu la malchance de confondre la Loire avec le Cher alors qu’il tentait son premier circuit de 300 km en juillet 1986. Il s’est équipé depuis d’un GPS dans son joli Bréguet 901 ! Le Cher, justement je le guettais, et l’aperçois plus précisément derrière une grande antenne à côté d’une forêt, tandis qu’une barrière de cumulus balise le fleuve. Pas de doute, la ville dans l’ombre à côté, c’est Montrichard. Mais je me rends compte avec surprise que plus au sud, le ciel du Berry est un immense trou bleu, que je serai posé bien avant d’avoir atteint les nuages suivants, et qu’il n’en est pas question. Donc je change de cap après avoir refait le plein d’altitude, au cours duquel j’ai pu distinguer la silhouette caractéristique du château de Chenonceaux. La dérive de l’ombre des nuages semble indiquer que le vent météo nous pousse vers le sud est, c’est-à-dire en remontant le Cher. Alors allons-y gaiement dans cette direction qui m’est familière pour l’avoir survolée souvent en planeur il y a 20 ans. Malheureusement, les pompes se font rares en arrivant à Saint Aignan, facilement repérable avec le silo et les jolis méandres du cher. Quelques cumulus sont toujours bien perchés là-haut, mais ils semblent vouloir prendre leur indépendance. Vol aux grands angles et au taux de chute minimum, afin de préserver ce qu’il me reste d’altitude, en attendant qu’un nouveau cycle se déclenche. Je peux observer le château en centre ville d’un peu plus près, à me demander si je ne vais pas me poser dans la cour, et puis je me laisse décaler vers la base de loisirs et les zones plus claires aux bords des méandres. Enfin, je me récupère à 400 m dans une pompouillette que je ne lâche plus et qui, comme les ruisseaux, finit par devenir une belle colonne ascendante qui m’emmène tout droit sous un cumulus géant. Ah, ça fait du bien de me retrouver à nouveau collé dans les barbules, tandis que le soleil se prépare gentiment pour aller se coucher dans quelques heures. Poursuivant ma route dans le lit du vent, je m’éloigne du Cher et traverse une grande forêt pour aboutir à la verticale du château de Valençay. Et puis je rencontre ma première rue de nuages de la journée, qui me trace la route directe au-dessus des champs tout marrons vers une grande ville au loin qui semble être Châteauroux. Le contraste des variétés de couleurs avec la Sologne est surprenant. L’autoroute ascensionnelle à laquelle je m’attendais n’est pas mirobolante, et je dois faire attention à mon cheminement pour ne pas perdre trop d’altitude. A ma gauche, les antennes d’Issoudun, et bientôt sous mes yeux, l’aérodrome de Châteauroux Déols. Encore un point bas vers 600 m avant de retrouver une pompe non loin du camp militaire. Je commence à me sentir ivre de ce vol, tandis que je redécouvre les jolis méandres de l’Indre au milieu de la ville. Cela fait quand même plus de quatre heures que je respire le grand air, et mes jambes réclament un minimum de dégourdissement en dehors du harnais. Allez, je continue, il y a justement un gros nuage au sud est de la ville près d’une immense forêt. La restitution devrait bientôt se mettre à l’œuvre. Comme à la fin de toutes les belles journées, les cumulus « se rassemblent », ils deviennent plus gros et plus rares avant de se désagréger. Mais les pompes qu’ils abritent sous les barbules ne sont pas forcément puissantes, ou alors je n’ai pas su les trouver en cette fin de journée. Quittant ce gros nuage qui me fait penser à un leurre, je tente une escapade sans succès au dessus de la grande forêt. La fin du vol se profile. Je continue le plus loin possible tout en commençant le repérage des champs dans une région clairsemée de jolis petits bocages le long de l’Indre. Il y a bien quelques thermiques qui tentent encore de s’élever, mais le gros nuage ombrageant leur ferme rapidement le clapet. Les vieux conseils pour éviter cette zone en vol à voile me reviennent en mémoire, car les champs sont effectivement trop petits pour autoriser un atterrissage en planeur. Mais en delta, aucun problème. J’atterris à 20h05 dans un beau champ de pâturage sans les animaux, à côté d’une grande maison et non loin de la route principale.

Le temps d’atterrir dans ma tête et de reprendre mes esprits, j’affiche une grande banane en guise de sourire, c’est le bonheur ! Et puis il faut téléphoner à Denis. Mince, je l’avais complètement oublié dès la première pompe, et sans contact radio de ma part, il doit commencer à trouver le temps long ! Dans la maison qui jouxte le champ, je fais rapidement la connaissance d’une nouvelle dame de 80 ans. L’année dernière, c’était Gisèle à Siouvres, et aujourd’hui, elle s’appelle Germaine et m’apprend que nous somme à Corlay, à 7 km au nord ouest de Nohant, village de Georges Sand, près de La Châtre. Naturellement, le numéro du portable de Denis a disparu de mes papiers. Je téléphone au père Gérard B. qui, après un petit coup d’internet, me communique l’information. Denis, il a été patient, car il aurait pu rentrer à Orsay avec mon véhicule, ce que j’aurais compris tout à fait puisque nous n’avions rien convenu ! Mais non, il a attendu mon appel, et le voilà qui arrive sur les lieux après trois heures de route, épuisé, tandis que je me restaurais en causant avec le couple de retraités qui m’avait gentiment accueilli. Retour immédiat vers le bercail, on a bien 250 km à parcourir. Denis me raconte qu’un méchant courant d’air a balayé la base peu après son atterrissage, et l’ULM du club s’est tout simplement retourné comme une crêpe, pour s’immobiliser entre le bord d’attaque et le chariot ! Dur dur, heureusement qu’ils ont été une poignée d’hommes pour le redresser, et après un vol de vérification, tout semblait ok. La suite des évènements démontrera le contraire, mais nous n’en sommes pas encore là. En attendant, Denis me fait aussi remarquer qu’avec une radio, en communiquant régulièrement ma position, la récupe est plus rapide, et il attend moins longtemps avant de se mettre en route, ce que je lui accorde complètement. Cet épisode me décidera à acheter un micro convenable pour donner quelques infos en l’air, sans m’encombrer avec tout le système qui s’installe dans le casque et dans une manche. Enfin, cerise sur le gâteau, le soir de cette fabuleuse journée aérienne est aussi celui que mon vieux carrosse choisit pour nous déclarer une défaillance vicieuse dans sa mécanique. En l’occurrence, après 50 km de route, ô surprise, il se met à vibrer de toutes ses tôles à en faire péter les rivets. Mon dieu. Un véritable vibromasseur ambulant. Je limite la vitesse à 90 km/h, histoire de ne pas trop amplifier les vibrations qui sont toujours destructrices, et c’est ainsi que nous parcourons allègrement les 200 km restants avant d’arriver au local d’Orsay vers 3h30 le lundi matin, frais comme des gardons. La distance Aigneville – centrale de Beaugency – Montrichard – Corlay s’élève à 205 km, après avoir donc plusieurs fois changé de cap. Nouveau record personnel. Un grand merci à Denis pour sa disponibilité et son assistance. Ce vol splendide me rappelle qu’en matière de vol sans moteur, il n’y a pas de limite à ce genre d’aventure, on peut toujours aller plus loin, ce que je ne me priverai pas de tenter à nouveau dès que la météo le permet, sans oublier la radio et une voiture fiable !

Frédéric Lévy