Balade en Sologne


Début juin 2006, autour de la Pentecôte, de belles journées pour le vol à voile et le vol libre sont attendues. Mais je ne pourrai en profiter pleinement, car un séjour en famille a été prévu depuis longtemps chez nos amis Teutons à Hambourg. Qu’à cela ne tienne, je décide de tenter ma chance le vendredi 2 juin, juste la veille de notre départ. Advienne que pourra pour la récupe, du moment que je suis de retour à temps. Une journée soleil et cumulus se prépare, avec un vent faible du nord est, en dépit de quelques phénomènes défavorables annoncés tels que les altocumulus. Le sieur remorqueur du club Michel M. étant alors en train de battre son record d’altitude à Saint André, je dois me rabattre sur la base ulm de Saint Benoît sur Loire. William, le pilote remorqueur me donne rendez-vous pour un décollage à partir de 14 heures.

La journée de vol libre semble s’organiser cahin-caha. William pensait que la convection mettrait du temps à s’installer, et lorsqu’il arrive sur le terrain après sa pause déjeuner incontournable, les cumulus arpentent généreusement le ciel depuis midi. Je ne peux m’empêcher de penser aux deux heures volatilisées. Ensuite le décollage s’effectue à pied, ce qui ne me réjouit guère, mais le désir de voler est plus fort que mon appréhension. Premier décollage, vent de face, le câble casse. Mon aile aux grands angles et en sous vitesse s’enfonce lamentablement, et je parviens juste à réussir sans heurt un atterrissage sur le gésier. Second décollage, le fusible casse, même atterro. Pas de veine. En plus, on perd l’anneau d’accrochage, libéré par l’ouverture de la poignée de mon largueur qui traçait un sillon sur la piste. La troisième tentative est la bonne, ouf, il est 14h35. Moi qui n’aime pas les décollages à pied en remorqué, j’en aurai eu trois pour le prix d’un. La masse d’air plutôt humide révèle des beaux cumulus bien mûrs vers lesquels mon remorqueur m’emmène. Largué vers 600 m, je commence par ne pas trouver la première pompe sous le beau nuage, et dois me rapatrier d’urgence vers le terrain pour envisager un nouveau décollage. Envisager seulement, car il n’est pas question de me poser déjà. A 150 m au-dessus du terrain, me voilà secoué par un brave thermique, que j’enroule immédiatement et ne lâche plus. Vers 15 heures, j’ai regagné mon altitude… de largage, et poursuis vers le plafond qui s’élève à 1200 m environ. Je découvre alors la Sologne au sud ouest de Sully, avec ses immenses forêts clairsemées de villages, de champs, et de lacs. Entre le travail pour accrocher les pompes, le cheminement entre deux nuages, et la contemplation du paysage, le temps n’existe plus. Et puis une autoroute se dessine, qui se rapproche d’une agglomération plus importante en faisant une large courbe par l’ouest. Mes souvenirs de vol à voile me rappellent alors que je survole actuellement La Ferté Saint Aubin. Au nord, la brume rend Orléans difficilement discernable. Plus à l’ouest, la forêt semble se densifier sérieusement, ce qui n’est guère rassurant, et puis l’idée de croiser la centrale de Beaugency plus loin sur ma route ne m’enchante pas. Changement de cap vers le sud. Je quitterai ainsi plus vite la Sologne vers le Berry, et puis j’espère trouver des pompes plus généreuses au-dessus des villes qui jalonnent la N20. Les cumulus s’enchaînent allègrement jusqu’au moment où je décide de « sauter » vers un cumulus bien joufflu mais plus lointain alors que, perdant patience dans une ascendance plutôt faible, il me restait bien 200 à 300 m à grimper avant d’atteindre la base du nuage courant. Erreur de tactique. Lors de cette transition aventureuse, mon altitude s’est tout simplement évanouie, et je me retrouve à gratter dans du zéro au-dessus d’un endroit couvert de forêt et de lacs sous le nuage qui me fait un pied de nez remarquable…Très mauvaise posture. Pour couronner l’affaire, les seules malheureuses clairières d’où un thermique pourrait partir sont assombries par ce même nuage qui vient justement masquer le soleil. La fin du vol est imminente, comme si un ange était intervenu pour me dire « non, tu n’iras pas plus loin, tu dois songer à rentrer chez toi ! ». Je survole alors un château, en me disant qu’être reçu par le châtelain ou la châtelaine fera bien l’affaire, et me pose dans un petit champ proche de l’édifice à 16h20, non loin d’un tracteur occupé à couper des tiges de maïs. Le thermique que j’attendais m’effleure la peau quelques minutes plus tard, et j’aperçois une buse nonchalante qui spirale dedans. Elle n’y restera pas longtemps, ce qui me rassure un peu, mais avait-t-elle besoin de s’élever très haut pour chercher sa nourriture ?

L’inhospitalité aérologique apparente du terrain est largement compensée par l’accueil de l’employé, sympathique et curieux. Celui-ci m’explique que nous sommes dans le domaine des Maremberts, qui est une propriété fermée de 720 hectares exclusivement destinée à la chasse au chevreuil (qui se nourrit de maïs), au sanglier, et aux 14000 canards qui sont introduits chaque année sur les 16 lacs du domaine. Les parties de chasse sont organisées toutes les deux semaines, et les gens les plus fortunés s’y rendent tout simplement en hélicoptère… Le château est inhabité et ne sert que de lieu de réception. C’est raté pour venir partager le thé avec le propriétaire des lieux, d’autant plus qu’aujourd’hui, l’employé est le seul à avoir pénétré le domaine par la voie terrestre pour y travailler, et par conséquent le seul qui pourra m’indiquer la sortie. Heureusement que je suis tombé sur lui. Après m’avoir aidé à ranger mon aile sur le chemin, il me conduit, sur un vieux tracteur brinquebalant, vers la ferme extérieure de rangement du matériel en passant par la grille somptueuse, difficile à escalader ne serait-ce qu’à mains nues. Puis il sort son véhicule personnel d’une jolie maison de campagne, qui n’est autre que son logement, pour m’emmener sur la N20 à quelques kilomètres au nord de Salbris, et me donne le code d’ouverture de la grille pour récupérer mon aile la nuit. Dans la foulée, un nouvel embauché dans la région et grand amateur de cyclotourisme, un descendant d’une grande famille de motards, et un guitariste de musique punk qui ne s’arrête jamais mais qui trouvait que j’ai une bonne tête, me ramènent directement sur la base ulm. Je me laisse porter par le vent. Pizza à Sully sur le bord de la Loire au soleil couchant. La traversée pré-nocturne de la Sologne m’amène à croiser des maisons ou des fermes aussi splendides que cachées. Retour au logis tranquillement dans la nuit. La distance parcourue en l’air via la Ferté Saint Aubin s’élève à 62 km. Encore un beau vol, bien qu’il fut quelque peu écourté. De retour d’Allemagne, j’apprendrai que le samedi 3 juin, la meilleure journée annoncée, le père Bruno Capelle a parcouru patiemment 300 km entre l’Aube et la Creuse sous son aile ultra-performante. Chapeau. Pendant ce temps, nous avons parcouru 850 km, mais à bord d’un gros tagazou.

Frédéric Lévy