Alerte !

Mercredi 2 avril, 23 heures … Le début de la semaine est dur : un projet à finir et des réunions jusqu’à plus soif qui m’ont achevé. Je me suis couché depuis une demi-heure lorsque … le téléphone sonne !
Une voie connue (mais pas reconnue dans mon demi-sommeil) m’interpelle.
La voix : « Alerte, t’es réquisitionné pour vendredi »
Moi : « pardon ? »
Pensée : °° Zut, kest kc’est kcette histoire °°
La voix : « mais oui, une météo d’enfer est prévue, il faut que tu te libères ! »
Moi : « une météo d’enfer »
Pensée : °° Mais purée, j’ai beau être secouriste, j’suis pas un pompier réquisitionnable à la première pluie ! »
La voix : « Hé, gars, réveille toi : t’es bien sur la liste des personnes du club intéressées par les alertes météo ? »
Pensée : °° Le club … cette voix … alerte météo … Mais oui, c’est du delta … Denis ! … °°
Moi : « Ah oui, OK, j’essaie de me libérer. On se rappelle demain soir pour confirmer ! »
A peine le téléphone raccroché, je réfléchis que j’ai déjà le vendredi de libre grâce à (ou à cause de) la Réduction du Temps de Travail à THOMSON (qui m’a par ailleurs subventionné ma qualification biplace) … tant mieux, c’est décidé, j’irai !

Jeudi, 21 heures … c’est moi qui rappelle Denis :
Moi : « alors, Denis, c’est bon, t’as pu te libérer au boulot ? »
Denis : « bof, j’avais des rendez-vous pour demain, et j’ai pas pu voir tout le monde … j’ai juste laissé un message au cas où … mais je ne sais pas encore ! »
Moi : « et la météo est toujours bonne ? »
Denis : « ben, je sais pas trop, ils prévoient quand même un vent assez fort (30 à 40 km/h) … »
Moi : « et les autres, ils ont pu se libérer ? »
Denis : « Pas vraiment, il n’y a que Fabien qui va y aller avec un groupe de compétiteurs, mais il ne nous conseille pas trop de venir … à cause du vent et des conditions thermiques fortes ! »
Moi : « écoute, si Fabien essai de te dissuader d’aller à Aigneville alors qu’il y va, c’est simplement qu’il veut avoir de la place pour décoller et qu’il ne veut pas se faire battre par des tocards comme nous ! Donc c’est bon, on y va ! »
Denis : « Ah bon, OK, je te suis, rendez-vous demain à 9 heures au local ! »

Vendredi 4 avril, 9 heures 15, j’arrive tout juste au local (hé oui, on ne se refait pas !). Denis a déjà presque fini de charger … Un petit coup de main et c’est parti !
Sur l’autoroute, on dépasse une voiture et une camionnette pleines d’ailes : les PIAFs, avec entre autres Fabien qui a changé de camp, et Eric Monteil (notre cher ex-président de ligue et polémiqueur à ses heures perdues). Tant mieux, on y sera les premiers !
Arrivés à la base, tout est fermé. Un beau vent de face souffle relativement régulièrement entre 20 et 30 km/h, juste dans l’axe de la piste. Impeccable !
Comme tous les bons PSUCards qui se respectent, nous déplions au meilleur endroit : entre le hangar et la route, à l’abri du vent (qui est frais !) … il faut garder son petit confort ! … Les autres, arrivés entre temps n’y prennent pas garde et déplient en début de piste. Hervé Rousseau passe vers 11 heures et revient un peu avant midi pour commencer les décollages.
Les « autres » sont 6. Ils se disputent alors le tour pour partir et finissent par établir un ordre. Il faut dire que le ciel semble très prometteur : de belles rues de nuages font leur apparition. Pourtant, il est bien tôt à l’heure solaire, et Denis et moi préférons attendre pour voir …
Chacun des « autres » décolle à tour de rôle, enroule un premier tour, puis un deuxième, … et revient se poser !
La noria recommence une seconde fois vers 13 heures … et c’est la même déception … après quatre ou cinq tours dans des 0.5 mal établis … « qu’est ce que c’est que cette M…, et les rues qui commencent à disparaître … »
Enfin, vers 14 heures, alors que Denis et moi nous décidons d’amener nos ailes sur l’aire de décollage, Pierre-Louis Marec y va, et après un largage à 500 mètres au delà de la ligne de TGV … revient vers nous … enroule … et monte !
C’est le branle-bas de combat : tout le monde veut de nouveau décoller !
Eric Monteil se lance en premier, et lui aussi arrive à accrocher.
Fabien y va … largue à 150 mètre/sol … enroule aussitôt … et y arrive à son tour (Chapeau !).
Nous laissons partir les furieux en préparant gentiment nos affaires, et vers 15 heures, c’est enfin notre tour.
Denis se lance en premier, largue à 500, et accroche tout de suite … c’est parti.
A mon tour, je me prépare. Accrochage, signe de tête, deux pas, je décolle, commence à enfiler mon harnais, relâche mon attention une seconde, me fais embarquer en chandelle immédiatement, … et le fusible lâche !
Qu’à cela ne tienne ! J’ai bien analysé mon erreur, ce coup-ci sera le bon.
Un nouveau fusible, accrochage, signe de tête, deux pas, je décolle, je continue bien à courir pour accompagner l’ULM, et c’est bon !
La plaine vue d’en haut, c’est très plat, et repérer son altitude à vue d’œil n’est pas évident. Je me rend alors compte que mon alti., que j’ai exceptionnellement accroché au montant pour ne pas gêner le décollage, est invisible en remorqué, car on est trop tiré vers l’avant. J’essai de le ramener vers moi … et relâche mon attention du remorqué. La réaction ne se fait pas attendre : je repars en chandelle, et le fusible relâche !
350 mètres/sol, au delà de la ligne TGV, pas de nuage en vue, et pas un bip salvateur au vario. Je me concentre, fais demi-tour, et essaie de trouver ma finesse max pour revenir au terrain. Denis m’appelle à la radio, il est déjà à plus de 10 km, accroché au plafond.
Mon retour au terrain est limite, j’allonge vent arrière jusqu’à la dernière seconde, fais un 180° ras les pâquerettes, dans un virage le plus serré mais plat possible, et pousse tout alors que les roues vont toucher.
Vive les roulettes à pneus et l’atterrissage à plat ventre, ça pardonne bien !
Entre-temps l’ULM s’est repréparé, a mis un nouveau fusible et un nouvel anneau d’accrochage (l’autre étant resté fixé à mon harnais).
De nouveau, accrochage, signe de tête, un pas, … et plus rien : ce coup-ci le fusible est bien là, mais c’est le nouvel anneau qui a disparu : certainement mal soudé, il a lâché immédiatement !
Enfin, le grand moment arrive : nouveau fusible (l’autre étant abîmé) et reprise de l’ancien anneau d’accrochage, accrochage, signe de tête, deux pas, je décolle, je pense bien à continuer à courir, et ça marche. Cependant, à partir de 100 mètres/sol, ça devient complètement rock&roll : impossible de tenir l’ULM dans ma ligne de visée. Même en tirant tout, il baisse par rapport à moi à certains moments, et à certains autres, je le vois remonter d’un coup sans pouvoir faire autre chose qu’amortir le choc lorsque le câble se retend ! A 400 mètres sol, alors qu’il est dans la phase « basse » , je prends ma décision : ce n’est pas possible de continuer, et ça ne peut être dû qu’au passage dans un thermique. S’il est bas, c’est qu’il est en train d’en sortir alors que j’y suis. Je décide donc de larguer … et ça marche ! Le vario se met à biper, je recentre la pompe et c’est parti.
Le vario n’est pas excellent (+1), mais il me permet d’atteindre les 800 mètres lorsque la dérive me fait repasser au dessus du terrain.
A 1000 mètres, comme souvent, je m’impatiente et décide de changer de nuage : cap au sud-ouest où il y en a un beau à quelques … kilomètres. Arrivé au dessous, plus rien, il se délite à mon passage et je ne suis plus qu’à 600 mètres. Il faut réagir vite, il y a un autre nuage au sud / sud-est. J’arriverai donc dessous par l’ouest qui est moins ombragé, c’est ma seule chance, et j’y vais.
Alors que le sol se rapproche, j’entends un des PIAFs qui est au tapis et je fais le relais pour la récup. De son côté, Denis est sorti des limites de sa carte, et est gêné par une forêt que je ne sais pas identifier. Il décide de la contourner en partant à l’ouest.
A 250 mètres, je commence à sentir l’aile qui frémit, le vario se met à biper doucement, puis il s’accélère, j’enroule, et c’est gagné : sauvé pour cette fois. Ce coup-ci, j’arrive à raisonner : si je veux aller loin, il faut s’accrocher aux pompes jusqu’au bout. Malheureusement, la mienne s’arrête vers 800 mètres, alors que je m’approche de la base aérienne de Chateaudun. Tant pis, je continue vers le sud où il y a un autre nuage.
Heureusement à 600m, alors que je distingue la base à l’ouest, je raccroche, et ce coup-ci je suis bon pour le plafond (ou presque : 1250 m, alors que certains sont montés à 1400, voir plus !). Une fois là haut, je ne tiens plus, je repars vers le sud, et la galère recommence. Plus de pompe, et je me rapproche du fameux bois dont parlait Denis. Avec 800 mètres/sol (il en avait 1200), je décide de le traverser dans sa plus petite largeur (vers le Sud). De l’autre coté, j’aperçoit une ville, et au pire ce sera bien pour la récup.
Dans l’intervalle, un autre PIAF s’était posé et c’est au tour de Denis. Je sers là encore de relais pour la récup.
Arrivé au dessus de la ville, je recommence à me sentir mal : 400 mètres, puis 300, puis 250, … là encore l’aile se met à frémir et le vario se réveille. Je remonte à 800 mètres, mais les conditions se tassent et ça redescend. Tant qu’à faire, il faut gratter les km, donc je repars vers le sud. A 200 mètre/sol, j’arrive à enrouler un vague +0.5 en pointillé, qui me permet de tenir cette altitude sur plus de 4 km, mais au bout du compte, je dois me résigner à atterrir, au sud du village de Villexanton, à 20 km au nord-est de Blois. Il est environ 17 heures.
Alors, je replie gentiment, un vieux paysan vient me voir, se renseigne sur mon vol, et semble épaté : il a dû aller 5 fois dans sa vie à Chateaudun, alors au delà, ça semble le bout du monde ! Il m’indique une maison au village où je pourrai téléphoner puis repart sur sa bicyclette des années 30 (humbles excuses à ce sympathique passant pour ma légère exagération).
Le village est à plus de 500 mètres, et je ne veux pas laisser mon aile dans le champ. Je replie donc tout sauf le trapèze, et je prends l’arrière sur l’épaule en laissant les roues par terre, pour faire remorque sur la route : encore une bonne raison d’utiliser des roues souples !
Les gens sont très sympas ! Ils me permettent de téléphoner, discutent un moment, et me proposent d’attendre chez eux. Dans un premier temps, je les remercie : il fait beau dehors, j’attendrai à coté de l’aile.
Les heures s’égrainent, je vois passer plusieurs fois les enfants du maire en carriole à poney, puis je les vois revenir à pied en boitant, tenant le poney par la bride : ils ont versé dans un virage. On discute 5 minutes puis ils rentrent chez eux.
Plus tard, alors que la nuit commence à tomber, les gens qui m’ont accueilli viennent me revoir, me proposent de nouveau de téléphoner, et de rentrer chez eux pour attendre, j’accepte volontiers le téléphone. Je rappelle la boite vocale, mets un message plus précis sur le lieu exact où j’attends, et appelle les téléphones portables que certains des volants avaient. Je tombe sur Pierre-Louis, qui m’annonce qu’il vient de se poser à plus de 230 km du point de départ : record site battu !
Alors que je ressors pour déplacer mon aile, l’une des filles du maire vient gentiment m’apporter un plateau repas : salade, tarte aux pommes, fruit, … l’accueil aura vraiment été top ! Merci encore !
Je me prépare enfin à rentrer chez les voisins qui me l’ont proposé, lorsque Denis arrive avec sa BX : la récup est là.
Le temps de charger l’aile, de dire rapidement merci à mes charmants hôtes, et c’est le retour à Paris, 22 heures au local, 23 à la maison. La journée aura été bien remplie.

Le bilan ?
- notre record respectif en distance libre battu (52 km pour Denis, et 55 pour moi)
- notre premier cross en plaine
- le plaisir d’avoir gratté certains compétiteurs soit-disant plus expérimentés que nous
- le record du site écrasé par Pierre-Louis Marec (230 km contre 100 précédemment)
- de belles distances réalisées pour certains autres (Fabien, notre compétiteur national n’aura fait que 83 km, soit à peine 1.5 fois mieux que nous autres tocards alors qu’il est parti une heure plus tôt, au meilleur de la journée ; Eric Monteil aura quant à lui atteint les 119 km)
- la confirmation que le remorqué est un superbe outil pour le vol libre : l’ULM a la possibilité de nous emmener dans les ascendances, ce qui nous donne un maximum de chances pour partir, à condition de maîtriser convenablement ce type de décollage
- l’intérêt des alertes météo qu’il faut utiliser au maximum si vous voulez progresser en remorqué et en vol de plaine, quoi qu’en dise Fabien (n’hésites pas Nath, mais par contre soit très prudente en phase de décollage, où ta (très) faible corpulence te fait passer trop facilement à travers le trapèze lors de la traction de l’ULM, ce qui peut te faire perdre le contrôle et partir en chandelle avec le Laminar)

Olivier REBOURG