Une folle journée après une folle semaine à Laragne (24 mai 1998)


La dernière journée du week-end de l’Ascension, à Laragne, les organisateurs de la sélective nationale se sont mis d’accord pour une petite manche de 40 kilomètres en plaine pour faciliter les récupérations, afin que ceux qui ont de la route à faire ce soir soient libres rapidement. Le parcours est décrit ainsi : décollage des Espranons sur la montagne de Chabre, première balise au rond point de la sortie de l’autoroute au nord de Sisteron, l’église de Ventavon entre le montagne de Saint Genis et la Durance, retour à Laragne. Ouverture de la fenêtre à 12h40.
Quelques ailes ne participant pas à la compétition ont déjà pris leur envol de l’autre décollage nord et ne rencontre pas de conditions favorables, ce qui n’encourage pas les compétiteurs qui ont envie de faire un bon temps. Après avoir rappelé les pointeurs qui s’étaient dispersés, je décolle à 13h05 sur le versant nord. Sans perdre de temps, je me dirige vers les ailes qui tournent laborieusement devant l’autre décollage. Avant d’arriver sur eux j’enroule tout ce que je trouve et passe au dessus du relief. En choisissant les meilleures ascendances, je me retrouve au plafond, à 2400m au dessus des Espranons.
Pour ma part, ce sera un vol de montagne car rien n’est encore formé en plaine. Je me dirige donc vers la Platte où je fais un point bas à 1400m. Comme d’habitude ça n’est pas excellent dans ces coins, je bascule donc vers le roc de Gloritte et l’extrémité ouest de la montagne de l’Ubac. Petit vario mais je m’accroche pour ne pas passer en dessous des crêtes, puis, avec quelques centaines de mètres au dessus, je peux me diriger vers le roc de l’Aigle qui me donne un bon +2. Je suis alors repéré par un planeur qui vient rapidement profiter lui aussi de cette pompe. Plafond. Je repère alors une autre pompe toujours sur la montagne de l’Ubac à 3 km à l’ouest de Sisteron. +2 à +3. Plafond. Je me rapproche de la balise. Photo tranquille. Ca change des balises au col Saint Jean où il est difficile de tenir à la fois l’aile et l’appareil photo.
Là, j’ai un doute et je demande conseil à la radio. Soit je fais demi-tour et reviens par un chemin que je connais, soit je m’aventure seul à l’est. Seul, puisqu’ils ont fermé la fenêtre pendant une heure à cause des difficultés de décollage. Pas de réponse à la radio. Je choisis l’inconnu et me dirige sur la Gache. Je m’y bat sans grand succès quand un rapace me fais comprendre qu’il ne faut pas traîner dans le coin. Petit salut à la bête pour le coup de main avant de tirer vers le rocher de Hongrie. Comme je l’ai fait jusque là tous les 5 km environ , je donne ma position à la radio mais cette fois je suis moins optimiste : “altitude 1000m, atterrissage possible au pied du rocher de Hongrie ”. Pourtant, je me sens près à me battre à nouveau car des ravines importantes bordent un champ posable. J’y reprend 1000m dans du +1 sans y faire le plafond car un nuage m’attend plus au nord, me promettant des varios plus favorables. Plafond. Dans ma transition vers un autre nuage plus au nord, j’observe l’activité planeur sur le terrain de Vaumeilh. Plafond. J’essaie d’estimer la distance par rapport à B1. Le village au pied de la montagne doit être B2. Je cherche le clocher et m’applique pour faire la photo puis vais refaire le plein à la pompe la plus proche, un peu au sud-est, la où j’ai vu un planeur.
Arrivé au plafond, je repasse au dessus de B2 et, avec l’altitude, je ne reconnais pas la montagne de Saint Genis. Panique. Appel radio pour me rassurer … pas de réponse. Que faire ? Je me met en attente sur ce relief que j’avais pris de loin pour la montagne de Saint Genis. Je saurai bien plus tard que je suis non loin de la Tête du Boursier et que ce que j’ai pris pour Ventavon est La Motte du Caire, pas mal pour la distance mais une erreur de 20 degrés sur la direction. Soudain, avant que j’ai pu réfléchir suffisament pour me repérer, je vois une autre aile, un sans mat. Ca ne peut être qu’un compétiteur. J’oublie rapidement mes problèmes d’orientation et me concentre à fond sur l’exploitation des ascendances pour ne pas perdre de vue cette aile providentielle qui vient m’indiquer la route à suivre. Je suis non loin derrière pendant trois nuages jusqu’au moment où je manque de m’étrangler en voyant à près de 10km un immense lac que j’identifie rapidement, le lac de Serre-Ponçon.
Maintenant que je prend le temps de regarder le sol je vois en effet Tallard à l’ouest et Gap au nord. Quand j’ai pris la décision de suivre cette aile, j’étais à 6km à l’est de Ventavon et je me suis éloigné de 15km vers le nord. J’ai appris au cours de cette semaine qu’il ne fallait jamais faire marche arrière, je met donc sans hésiter cap à l’ouest. Malgré l’interdiction, je survole Tallard et essaie de rester très haut. Alors que j’enroule, un avion probablement chargé de parachutistes tourne autour de moi. Pas question de rester longtemps dans le coin pour assister au passage de petits bolides sortant à 200km/h des nuages. Par contre entre Tallard et Ceüse je fais le meilleur plafond : 2800m avec un planeur. A nouveau, je suis. C’est peut être la solitude qui m’y pousse, ça fait plus de trois heures que je vole et bien que je donne toujours régulièrement ma position , je n’ai pas de retour. Lui au moins, je ne pourrai pas le suivre très longtemps et il ne m’entraînera pas dans des détours infernaux.
J’arrive sur la montagne de Ceüse sans y trouver grand chose. Le coin n’est pas très acceuillant car les vaches peu nombreuses. Mon seul soucis est alors de me sortir du relief pour me dégager dans la vallée au nord-ouest entre Veynes et Gap. Machinalement, j’enroule le thermique avec deux rapaces puis une envie pressante depuis près de deux heures m’encourage à aller me poser. Après un bon vol, quoi de mieux qu’un bel atterrissage. Je choisis donc un grand champ là où la vallée s’élargit et me pose à la Roche des Arnauds à 17h. Je suis à 22km au Nord du circuit prévu et ai parcouru près de 65km. Quand je signale ma position, on a du mal à comprendre mon parcours. Je n’en reviens pas moi-même et j’ai souri jusqu’au lendemain en pensant à cette journée qui est venu couronner une semaine de rêve.

Un pessimiste qui se soigne

en violet : le parcours prévu

en jaune : le parcours décrit